Armand Frappier et le vaccin BCG

Au début du 20e siècle, la tuberculose fait rage un peu partout dans le monde, à tel point qu’on la surnomme la « peste blanche ». Enjeu alarmant de santé publique, cette maladie infectieuse devient rapidement un des principaux sujets de recherche de la médecine moderne. Après plusieurs années de travail, les docteurs Albert Calmette et Camille Guérin de l’Institut Pasteur développent en 1921 un vaccin à partir d’une souche atténuée de bacille tuberculeux bovin vivant, et ayant perdu sa virulence sur l’homme. Le vaccin B.C.G. (« Bacille Calmette-Guérin » ou vaccin bilié de Calmette et Guérin) deviendra rapidement une arme de choix dans la lutte contre la tuberculose.

Camille Guérin, un des deux découvreurs du BCG. Source : INRS, Archives de l’Institut Armand-Frappier

Si son innocuité fait généralement l’unanimité, plusieurs médecins remettent en cause son efficacité. C’est le cas de la Grande-Bretagne et plus particulièrement des États-Unis, où le docteur Petroff et ses collègues du sanatorium Trudeau sont sceptiques. En 1929, le chef du service de santé de Lübeck, Ernst Altstaedt, et le directeur de l’Hôpital Général, Georg Deycke, décidèrent eux aussi d’introduire la vaccination au B.C.G. des nouveau-nés. À partir de 1930, près de 84% des nouveau-nés de Lübeck sont inoculés d’un vaccin contaminé. En effet, une culture du B.C.G. venue de France est transformée en vaccin par une infirmière non qualifiée en bactériologie et dans un laboratoire qui n’était pas adapté à la fabrication de vaccins. Il en résulte la mort de 72 enfants, et une tuberculose clinique pour 131 des 251 enfants vaccinés. Même si plusieurs enquêtes et rapports démontrent que c’est la négligence qui est en cause dans ce drame et non le vaccin à proprement parler, la réputation du B.C.G. (et de ses créateurs) en souffre considérablement.

À compter de 1931, un jeune microbiologiste québécois du nom d’Armand Frappier entreprend des études postuniversitaires aux États-Unis et divers pays d’Europe. Il étudie notamment à l’Institut Pasteur à Paris, auprès d’Albert Calmette et Camille Guérin. Lorsque le docteur Frappier rentre à Montréal, il rapporte avec lui une souche atténuée du bacille tuberculeux, et entreprend dès 1933 la fabrication du vaccin dans les laboratoires de bactériologie de l’Université de Montréal, qu’il sera d’ailleurs le seul à produire au Canada durant plusieurs années. Il poursuit cette tâche au sein de l’Institut de microbiologie et d’hygiène de Montréal qu’il fonde en 1938 et qui, à partir de 1942, deviendra l’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal (IMHUM).

Mais sa contribution dans la lutte contre la tuberculose s’étend aussi à démontrer l’innocuité du vaccin et à faire la promotion active du vaccin qui, à ses yeux, demeure le moyen de prévention le plus efficace qui soit. En effet, Armand Frappier est de tous les fronts : dès sa création, il est un proche collaborateur de la première clinique du B.C.G. d’Amérique du Nord, il participe à de nombreuses campagnes de vaccination, à plusieurs études et enquêtes importantes, il multiplie les collaborations pour l’avancement de la recherche, fait la promotion du B.C.G. dès qu’il le peut, et il est fréquemment invité à différents congrès et conférences de médecine un peu partout en occident.

On voit Armand Frappier sur cette photo, debout à l’extrême gauche. Source : INRS, Archives de l’Institut Armand-Frappier

En juin 1948, il est d’ailleurs invité par l’Institut Pasteur à participer au premier congrès international du B.C.G. qui se tient à Paris. Avec les docteurs Albert Guilbeault et Édouard Morin, il accompagne les deux délégués officiels représentant le Canada, soit les docteurs A. G. Ferguson et J.-A. Beaudoin. Devant des sommités médicales venues des quatre coins du globe, les cinq spécialistes canadiens y présentent les résultats de leurs expériences, recherches et travaux des deux dernières décennies, démontrant que la tuberculose est en nette régression au Québec depuis l’utilisation du vaccin dans les bonnes conditions (qualité de la préparation du vaccin, durée de l’isolement et salubrité des lieux, surveillance, etc.). Lors du congrès de Paris, les représentants de tous les pays (à l’exception du Japon et de la Russie) adoptent des résolutions claires quant à l’efficacité du B.C.G. et visant à encadrer sont utilisation à grande échelle. Quelques jours plus tard, ces résolutions sont présentées au programme de la première assemblée générale de l’Organisation mondiale de la santé à Genève le 3 juillet 1948. Plusieurs considèrent ce congrès comme le plus important du genre depuis 1894, mais surtout qu’il représente la consécration du vaccin antituberculeux B.C.G.

D’abord offerte à petite échelle, la vaccination au B.C.G. gagne progressivement en popularité pour finalement s’étendre à l’ensemble du Québec à partir de 1949, et ainsi devenir un élément central de la lutte antituberculeuse dans la province. Durant plusieurs années, le vaccin est la principale production de l’Institut d’Armand Frappier, ainsi que sa principale source de revenus, contribuant ainsi à financer la recherche sur d’autres maladies et dans d’autres secteurs scientifiques.

Armand Frappier est considéré comme une figure emblématique, voire un pionnier dans la recherche sur la tuberculose et son traitement préventif. Plusieurs scientifiques éminents (Benjamin Weill-Hallé, Léopold Nègre, Émile Sergent, Jacques Tréfouël, Frederick Banting, pour ne nommer qu’eux) n’ont d’ailleurs cessé de vanter le mérite de ses travaux et l’importance de sa contribution dans le combat contre la tuberculose, et ce à l’échelle mondiale.

(Texte de Nicolas Champagne; février 2021)